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Le rapport Tuot : et après ?

Publié le : 27/03/2013

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Le 1er février dernier, Thierry Tuot, conseiller d’État, a remis au Premier ministre son rapport intitulé La grande nation, pour une société inclusive. Ce rapport, commandé au lendemain de la victoire à l’élection présidentielle, avait pour objectif de proposer des pistes de refondation de la politique d’intégration française. Un débat qui mérite quelques éclaircissements.

Le rapport Tuot propose un changement profond de regard sur les migrations. Il est en effet urgent de s’écarter de la vision dominante des dernières années, caractérisée par une prévalence des missions de maintien de l’ordre et de contrôle des flux, au profit d’un regard centré sur le renforcement de la cohésion sociale par la redéfinition d’une politique d’intégration cohérente et volontariste.

Si la nécessité de réforme ne fait aucun doute, la publication de ce rapport relance les polémiques sur sa définition. « L’intégration mène des populations mal définies sur un parcours incertain pour rejoindre on ne sait quoi »  note M. Tuot. France terre d’asile, qui salue la réelle volonté de changement soulevée par l’auteur, souhaite axer le débat portant sur la refondation de la politique d’intégration sur trois volets essentiels : ses bénéficiaires, son contenu et sa gouvernance.

Une politique d’intégration, pour qui ?

La priorité d’une refondation de la politique d’intégration doit être la définition de son public cible. Le rapport n’apporte toutefois pas de réponse adaptée à cette question, puisqu’il continue d’inclure non seulement les primo-arrivants mais aussi les personnes installées en France depuis longtemps.

Or, une personne nouvellement arrivée sur le territoire n’a pas les mêmes besoins ou les mêmes attentes qu’une personne qui y réside de longue date. Une politique d’intégration devrait donc exclusivement concerner les primo-arrivants, à savoir « les étrangers pendant une période de cinq années au plus à compter de la délivrance d'un premier titre de séjour les autorisant à séjourner durablement en France » . C’est au cours de cette période que doit être mis en place de manière systématique un réel parcours d’intégration, balisé par des étapes claires et échelonné de prestations pertinentes.

Rien n’empêche, par ailleurs, de prolonger cette politique par une intervention publique territoriale et sociale, adressée aux résidents de longue date, afin d’assurer la promesse républicaine d’égalité pour tous.

Une politique d’intégration digne et efficace

La sur-médiatisation générale de la proposition d’un « statut de tolérance » pour les étrangers en situation irrégulière et du soutien à de nouvelles formes d’accès à la nationalité a occulté une suggestion essentielle du rapport Tuot portant sur la refonte du contrat d’accueil et d’intégration (CAI). Au regard de son bilan mitigé, il est en effet urgent de le réformer. À l’heure actuelle, on constate un fort décalage entre les ambitions développées par le CAI, à savoir l’autonomie face aux situations de la vie quotidienne, et la réalité des parcours (difficultés à accéder à l’emploi, à participer à la vie sociale ou à comprendre la plupart des démarches administratives). Non seulement l’investissement dans un meilleur enseignement de la langue française doit être un aspect central de cette refonte, mais celle-ci doit aussi passer par une plus grande prise en compte du niveau de compréhension en français, parfois limité, des participants. L’évocation des valeurs et principes républicains doit se faire dans une relation de parfaite compréhension. La réforme du CAI, socle d’un réel service public de l’accueil des primo-arrivants, devrait donc permettre le développement de parcours d’intégration individualisés et une meilleure prise en compte des besoins des migrants.

En outre, cette politique d’intégration doit, pour atteindre son objectif d’égalité, se coupler à des politiques de lutte contre la ségrégation spatiale et sociale. En effet, en matière d’emploi, les migrants ont toujours un taux de chômage deux fois plus élevé que les non migrants (16,4 % contre 8,5 %) . À ce titre, l’ouverture d’un certain nombre d’emplois encore fermés aux étrangers devrait être remise à l’ordre du jour (plus d’un emploi sur cinq, soit 5,3 millions de postes de travail, demeurent interdits aux étrangers non européens en France, dont 85 % appartiennent à la fonction publique ). D’autre part, l’accès à un logement doit être une priorité des organes chargés de la lutte contre les discriminations. M. Tuot en a fait, à raison, l’un des enjeux majeurs de son rapport  : il faut repenser le système d’attribution des logements sociaux, qui est caractérisé actuellement par une opacité et une complexité inadaptées. Des pistes intéressantes sont donc soulevées, soulignant que les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités dans le chantier de la lutte contre les discriminations institutionnelles et légales afin de contrer des tendances à l’œuvre depuis plus de vingt ans.

Une redéfinition de l’échelle d’action

À quelle échelle doit se déployer l’action en faveur de l’intégration ? Cette question, posée dans le rapport, est emblématique des difficultés politiques et économiques actuelles. La proposition de décentraliser l’application de la politique d’intégration soutenue par M. Tuot semble toutefois problématique. La troisième phase de la décentralisation ne doit pas être prétexte à de nouveaux renoncements. L’intégration doit avant tout rester une compétence régalienne.

Il n’en demeure pas moins qu’une réforme étatique doit être engagée, en particulier concernant les attributions ministérielles. La tutelle exclusive du ministère de l’Intérieur sur les questions d’intégration est tout aussi inadaptée que la précédente division interministérielle. La solution à privilégier semble donc être la création d’un ministère des Migrations et de la protection internationale qui aurait en charge l’ensemble des questions d’entrée et de séjour, d’accueil et d’intégration des étrangers primo-arrivants.

 « Les préconisations seront mises à l’étude dans le cadre de la réflexion interministérielle visant à proposer une profonde refondation de notre politique d’intégration » affirmait Jean-Marc Ayrault dans un communiqué publié le 11 février. Malgré cette première réaction complaisante et peu déterminée, il est fondamental que le gouvernement se démarque de ses prédécesseurs en rebâtissant une politique d’intégration digne et responsable, réaffirmant ainsi le principe fondateur d’égalité républicaine.

Article de la Lettre de l'Observatoire de France terre d'asile n°57, Mars 2013

Pour accéder à l'intégralité de la Lettre de l'Observatoire, cliquez ici