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Les tests osseux, pas fiables, servent toujours à expulser

Publié le : 14/11/2014

libération net

 

manif soutien Yero

Manifestation de lycéens le 13 novembre à Paris, en soutien à Yero, menacé d'expulsion. (Photo Thomas Samson. AFP)

 

Les médecins sont parfois contraints par un juge d'évaluer l'âge des migrants pour savoir s'ils sont mineurs ou majeurs... Alors qu'il est scientifiquement impossible de le savoir.

 

Ce jeudi encore, quelques centaines de lycéens ont manifesté à Paris, notamment pour défendre le cas de Yero. L’histoire de ce lycéen menacé d’expulsion ressemble à beaucoup d’autres. Arrivé en France, seul, avec un faux passeport, il a d’abord été pris en charge en tant que mineur isolé. C’est une obligation pour l’Etat. Tout enfant de moins de 18 ans a le droit d’être nourri, logé et scolarisé. Un mineur ne peut pas être expulsé.

 

Yero était inscrit en CAP menuiserie à Paris. Mais du jour au lendemain, les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE), en charge de sa protection, ont remis en doute son âge. Son destin a basculé en quelques heures, quand un médecin a réalisé des tests osseux, censés déterminer s'il était mineur ou majeur. Le praticien a conclu qu’il avait probablement plus de 18 ans. Donc majeur, donc expulsable. Quels sont ces tests qui ont décidé de l'avenir de Yero ? Pourquoi sont-ils décriés, à commencer par les médecins eux-mêmes ?

 

En pratique, en quoi ça consiste ?

 

Le protocole est le même depuis toujours. Le médecin, choisi par le parquet, interroge la personne pour savoir si elle a des antécédents dans sa famille, des maladies pouvant entraîner des retards de croissance par exemple. Puis passage sur la balance, mesure… La taille et le poids sont comparés à la courbe moyenne (celle du carnet de santé).

 

Ensuite, le médecin examine les parties génitales du jeune migrant pour voir s’il est pubère ou pas. Un œil dans la bouche pour vérifier si les dents de sagesse sont sorties. Puis, pour conclure, le fameux test osseux, qui se résume en une radio de la main et du poignet. L’idée est de regarder si les os sont soudés ou s’il reste encore du cartilage de croissance. Plus le cartilage a disparu, plus il y a de chance que la personne s’approche des 18 ans. Pour se faire une idée, le radiologue se rapporte aux clichés contenus dans l’atlas de référence, dit de Greulich et Pyle, du nom des deux médecins américains qui l’ont publié. C’était dans les années 1950, en se basant sur des radios de jeunes américains blancs…


Ces tests sont-ils fiables ?

 

Non. Tout le monde semble d’accord sur ce point, à commencer par le corps médical. « Il y a une absence totale de fiabilité de ces techniques », répond André Deseur, vice-président du Conseil de l’ordre des médecins. Dans un avis formel de 2010, l’ordre réclamait que « les actes médicaux réalisés dans le cadre des politiques d’immigration, soient bannis, en particulier les radiologies osseuses ». Cette position n’a pas varié depuis, confirme André Deseur qui souhaite en finir avec ces tests où « les médecins se retrouvent à prendre une position qui ne devrait pas être déterminante ».

 

Patrick Chariot, chef du service de médecine légale de l’hôpital de Bondy (Seine-Saint-Denis), bataille lui aussi, en vain, depuis des années pour faire entendre raison à la justice : « Non, il n’existe pas de technique médicale pour déterminer de manière fiable l’âge d’une personne. Au mieux, on peut raisonner en densité de probabilité.» Du genre, il y a entre 30 et 70% de chances que cette personne ait entre 16 et 20 ans. « Le problème, c’est que beaucoup de médecins se sentent obligés de répondre en donnant un âge alors qu’ils ne peuvent pas le savoir.» A longueur d’articles, il démonte les tests existants : « Prenez l’examen dentaire. On part du principe que quand on a ses quatre dents de sagesse, on a souvent plus de 18 ans. C’est vrai. Mais interrogez n’importe quel dentiste, il vous dira qu’elles peuvent très bien pousser à 16 ans ! On se base sur une moyenne, qui n’a aucune valeur sur le plan individuel. Une personne a parfaitement le droit d’être hors norme…»

 

Quant à l’examen des parties génitales, Patrick Chariot en rirait presque. « Tout le monde sait que l’âge de la puberté est variable… Et puis cela veut dire quoi ? Si le jeune mesure 1m90 et a du poil au menton, alors il est majeur ? » Le Conseil national d’éthique avait pointé dès 2005 « l’inadéquation des techniques médicales utilisées actuellement aux fins de fixation d’un âge chronologique ». Rien n’y a fait. Il y a quelques mois, c’était au tour de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) de recommander fermement l’interdiction de ces tests.


Y a-t-on souvent recours ?

 

Malgré toutes ces prises de position des autorités, la France continue d’utiliser ces tests pour déterminer l’âge des migrants quand il y a doute.

 

1 290 tests ont été réalisés en 2012, 1347 en 2013, selon les chiffres du ministère de la Justice. Ils coûtent en moyenne 40 euros. Une circulaire de mai 2013 était censée encadrer et donc limiter le recours à ces tests. Seul le parquet peut l’exiger « en cas de doute », étant précisé que si la personne apporte un acte d’état civil, il fait foi en principe. Si malgré tout, le juge décide de réaliser des tests, ils doivent être effectués exclusivement au sein de l’une des 48 unités médico-judiciaires et non plus par un radiologue de ville lambda. Enfin, précise la circulaire, « dans tous les cas, le doute, au vu des conclusions de l’examen médical, bénéficiera au jeune. »

 

Mais à écouter les acteurs associatifs qui viennent en aide aux sans-papiers, la réalité de terrain est bien différente. « Dans les faits, ce sont les départements qui décident d’y avoir recours, souvent, quand le flux d’étrangers augmente sur leur territoire. Et non pas quand il y a une hausse des cas de fraudes…», explique Jean-François Martini, du Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti).

 

Il y a autre chose. Une pratique constatée pour l’instant dans les Bouches-du-Rhône : « Quand la personne est considérée comme majeure à l’issue des tests, non seulement elle perd du jour au lendemain toute protection, mais en plus le conseil général se retourne contre le jeune pour fraude à la prestation sociale, avec des indemnités à payer ! » Il raconte ses vies qui basculent « en une grosse heure d’examen ». « Les jeunes jouent leur existence avec ces tests. Certains reviennent me voir quelques années après, parce qu’ils ont eu la chance d’avoir été classé mineur. Ils ont pu obtenir un diplôme, trouver du travail et s’installer en France. » Les autres sont expulsés.


Marie PIQUEMAL

 

Libération, le 14 novembre 2014