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L’Europe se mobilise avec retard

Publié le : 28/02/2011

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Les dirigeants européens ont longtemps préféré la stabilité à la démocratie. Bousculés par la crise, ils n’ont plus d’autre choix que de soutenir la vague de démocratisation au sud de la Méditerranée

Aux abonnés absents pendant la « révolution du jasmin » de Tunisie, à la remorque de Washington pendant le soulèvement égyptien, l’Europe a fini par se mobiliser face à l’insurrection en Libye. Non sans avoir attendu que Barack Obama donne le tempo.

Un coup de fil du président américain, jeudi 24 février, au Français Nicolas Sarkozy, au Britannique David Cameron et à l’Italien Silvio Berlusconi, et la machine européenne, jusque-là hésitante et divisée, s’est mise en branle. Désormais, Catherine Ashton, la chef de la diplomatie européenne, annonce des sanctions et les pays de l’UE se préparent à imposer une éventuelle zone d’exclusion aérienne.

Priorité numéro un des Vingt-Sept, l’évacuation de leurs ressortissants. Depuis quelques jours, une petite armada européenne s’est déployée dans la zone pour rapatrier ou protéger le rapatriement par air, terre ou mer, de la totalité des 5 000 à 6 000 Européens résidant en Libye.

Une dizaine de navires et une quinzaine d’avions militaires de différents pays européens participent aux opérations. L’UE a activé son mécanisme d’information de la protection civile (MIC) pour faciliter la coordination et la mise en commun des ressources. De même, l’état-major militaire européen recense les moyens disponibles et assure la liaison avec les armées des États membres.

L'Europe tétanisée par l’écroulement des dictatures « amies »

Au-delà des citoyens européens, la question se pose du sort réservé aux milliers de travailleurs étrangers africains ou asiatiques, légaux et illégaux (ils sont entre 500 000 et 1,5 millions, d’après Frontex, l’agence de surveillance des frontières européennes), qui cherchent à quitter le pays. Cette question inquiète particulièrement le gouvernement italien, obnubilé par l’impact des événements sur les flux d’immigration.

Prise de court par l’avènement d’un nouveau monde à ses frontières, tétanisée par l’écroulement des dictatures « amies » en Tunisie et en Égypte, l’Europe ne s’est véritablement réveillée qu’avec l’arrivée de plus de 6 000 Tunisiens sur l’île de Lampedusa.

Premier pays concerné, l’Italie a aussitôt réclamé 100 millions d’euros de l’Union européenne et obtenu le déploiement de la mission Hermès de Frontex, c’est-à-dire un soutien naval et aérien des pays de l’UE à la surveillance des frontières. Rome a demandé que soit créé un fonds spécial de solidarité pour aider les pays d’accueil et l’acceptation du principe du partage du poids économique.

Une fois de plus, l’Union s’est retrouvée divisée entre les pays du Nord et ceux du Sud aux frontières plus vulnérables. La France, tout comme l’Allemagne, le Royaume-Uni et les pays scandinaves, s’est montrée très réservée sur le partage de la prise en charge des réfugiés et des migrants économiques.

Jusqu’à l’impulsion américaine, le même attentisme prudent et la même division prévalaient sur la question des sanctions. Les Européens s’étaient jusque-là contentés de réagir en ordre dispersé en appelant « toutes les parties » à la « retenue » et à un « dialogue national ouvert, sérieux et sans exclusive ».

L’Europe a eu du mal à trouver ses marques face à cette nouvelle donne

En début de semaine dernière, Catherine Ashton a suspendu les négociations sur un accord de partenariat UE-Libye, lancée en novembre 2008 lors de la présidence française de l’UE. Pour le reste, avant de coordonner leur action avec les États-Unis, les Vingt-Sept avaient « mis à l’étude » une série de mesures qui étaient encore en cours de finalisation dimanche : embargo sur les armes, gel des avoirs et gel des visas pour les dirigeants et auteurs de violation du droit international, suspension des relations économiques et financières, zone d’exclusion aérienne.

Empêtrée dans ses contradictions, l’Europe a eu du mal à trouver ses marques face à cette nouvelle donne. Symbole d’une diplomatie calquée sur le plus petit dénominateur commun, Catherine Ashton s’est rendue le 16 février à Tunis et le 22 février au Caire pour annoncer une aide européenne sonnante et trébuchante à la transition.

En guise de soutien aux forces pro-démocratiques, les ministres des affaires étrangères des Vingt-Sept ont évoqué, la semaine dernière, « un nouveau partenariat » avec les pays de la région pour leur apporter un « soutien sur la voie de la démocratie, de l’État de droit, du développement socio-économique et du renforcement de la stabilité régionale ».

Tout se passe comme si la vague de révoltes qui secoue le monde arabe perturbait le statu quo confortable d’une Europe avant tout soucieuse de préserver son bien-être. Au lieu d’harmoniser leurs politiques en matière d’immigration et d’asile, les États européens ont préféré conclure des accords avec les régimes autoritaires de la région pour leur faire assumer le fardeau du contrôle de l’immigration. La politique de voisinage, lancée en 2003, a plus servi à favoriser les échanges économiques au profit des régimes en place qu’à soutenir les réformes.

Depuis la fin de la colonisation, les dirigeants européens ont privilégié la stabilité, de préférence à la démocratie les intérêts de l’Europe contre ses valeurs –, pour lutter contre le terrorisme, réduire les pressions migratoires et sécuriser leurs approvisionnements énergétiques. Pour l’heure, ils n’ont ni l’un l’autre. Cette fois, intérêts et valeurs coïncident. L’Europe n’a pas d’autre choix que de soutenir ceux qui veulent la démocratie au sud de la Méditerranée.

La Croix, le 27/02/2011