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Rétention administrative : l’enfermement, au mépris des droits fondamentaux

Publié le : 25/06/2025

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© Unsplash

 

Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !

En mars et mai 2025, deux propositions de loi sur la rétention des personnes étrangères ont été adoptées au Sénat, l’une visant à allonger la durée de rétention et l’autre à mettre fin à l’intervention des associations dans les centres de rétention administrative. Pourtant, les violations des droits des personnes enfermées en centres de rétention en France sont documentées depuis de nombreuses années, tant par les associations qui les assistent juridiquement que par les autorités indépendantes, nationales et internationales.

En mars 2024, les autorités ont placé une personne paraplégique au CRA de Strasbourg en lui refusant l’accès à un fauteuil roulant, pourtant indispensable à ses déplacements et à la réalisation des actes d’hygiène.  En 2023, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté a dénoncé les conditions indignes de rétention : « espaces sales et dégradés », installation de « couchage de fortune », « atteintes à l’intimité et à la dignité ». La même année, la Défenseure des droits s’est saisie de la situation des centres de rétention administrative (CRA) pour « mener une instruction approfondie sur le traitement réservé aux personnes placées au sein des CRA ».

Ces situations d’enfermement dans des conditions indignes accentuent les risques  d’altérer la santé physique et mentale des personnes enfermées : les suicides et tentatives de suicide se sont multipliées ces dernières années en rétention. Pour la deuxième année consécutive, quatre personnes sont mortes en rétention en 2024.

La rétention de personnes mineures a, elle aussi, été largement dénoncée. La Cour européenne des droits de l’Homme a condamné onze fois la France pour l’enfermement d’enfants en rétention avant que la loi du 26 janvier 2024 ne l’interdise. Entre le 1er et le 25 janvier 2024, 6 enfants ont été placés en rétention avec leur famille. Et sur l’année 2024, 56 personnes considérées comme majeures par l’administration se sont déclarées mineures auprès des associations intervenant en CRA. Le Comité contre la torture de l’ONU, dans son dernier rapport périodique sur la France, dénonçait notamment la situation à Mayotte où l’interdiction par la loi de janvier 2024 de la rétention administrative d’enfants migrants (accompagnés ou non) a été reportée à janvier 2027. En 2024, 1 860 enfants ont été enfermés au CRA de Mayotte, soit plus de 13% de l’ensemble des personnes enfermées à Mayotte.

 

Des mesures d’éloignement systématisées

La loi asile et immigration du 26 janvier 2024 a renforcé cette dynamique en supprimant les protections contre l’éloignement dont bénéficiaient certaines personnes, comme les parents d’enfants français, les conjoints de français ou encore les personnes gravement malades. Cette loi autorise aussi le placement en rétention jusqu’à trois ans après l’émission d’une OQTF, contre un an auparavant.

Dans un rapport de janvier 2024, la Cour des comptes déplore les conséquences de la systématisation des OQTF, une pratique qui « engorge les préfectures et les juridictions, qui ne peuvent plus faire d’analyse qualitative de la situation de chaque demandeur et délivrent parfois des OQTF à des personnes insérées dans la société ». L’histoire récente de Soraya en témoigne : cette franco-algérienne installée en France depuis 1993 a reçu une OQTF assortie d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) d’un an, après que sa nationalité ait été contestée. Cette femme de 58 ans, considérée comme une citoyenne française pendant 25 ans, a été sommée de quitter la France sous 48 heures. « Mais ma vie est iciJ’y ai un mari, deux grands garçons et une fille qui est encore petite » partage-t-elle.

Les préfectures, surchargées par ces mesures d’éloignement devenues systématiques, commettent des erreurs de droit, prononcent des décisions illégales, et notamment des OQTF contre des ressortissants de pays en guerre ne pouvant être renvoyés, ou des personnes éligibles à des titres de séjour. Ces décisions sont donc très souvent annulées : selon le rapport de la Cour des comptes, en 2022, les tribunaux administratifs ont annulé 18 % des OQTF qui leur étaient présentées. Et en 2024, 57,61% des personnes ont finalement été libérées, soit par les juridictions, soit par l’administration elle-même.

 

40 ans de privations de liberté

Le recours au placement en CRA est possible lorsque que l’administration dispose de perspectives réelles d’éloignement à brefs délais et qu’aucune autre mesure moins attentatoire aux libertés ne permet de garantir que les personnes restent à disposition de l’administration. Le placement en CRA n’est pas une mesure punitive comme peut l’être la prison, car il ne sanctionne ni crimes ni délits. Pourtant, depuis l’Instruction du 12 avril 2021 du ministre de l’Intérieur, la priorité est donnée aux placements en rétention de personnes étrangères sortantes de prison, détournant ainsi les CRA de leur fonction originelle.  

La loi asile et immigration du 26 janvier 2024 a sacralisé l’utilisation de la notion de « menace à l’ordre public » comme critère central pour justifier les décisions de placement et de prolongation de la rétention, en dépit de son caractère flou et discrétionnaire. Des personnes sont donc enfermées sur la base de suspicions ou de faits pour lesquels elles n’ont été ni poursuivies ni condamnées. La loi portée par Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, prévoyait aussi une disposition, jugée récemment contraire à la Constitution, qui aurait permis de placer en rétention administrative des demandeurs d’asile pour des raisons d’ordre public.

Au centre du discours politique sur la lutte contre l’immigration irrégulière, les CRA voient leur capacité augmenter constamment. Initialement au nombre de 12, le nombre de CRA en France a doublé en quarante ans. En 2023, le gouvernement annonçait l’ouverture de 3 000 places supplémentaires à l’horizon 2027, soit plus que la capacité totale actuelle (1 959 places). En 2018, la législation a déjà allongé la durée maximale de rétention, portée à 90 jours. En conséquence, la moyenne en métropole est passée de 15,5 jours d’enfermement en 2018 à 32,8 jours en 2024. Pourtant, la rétention ne permet pas d’atteindre les objectifs d’éloignement du gouvernement puisque seulement 11 % des OQTF ont été exécutées en 2024, un chiffre inférieur au taux d’exécution de 2018.  Dans les faits, l’allongement de la durée de rétention ne donne pas lieu à plus d’éloignements, d’autant que les personnes sont éloignées dans les premiers jours de rétention.

Aujourd’hui, les associations présentes dans les CRA assurent des missions d’information et d’assistance juridique aux personnes retenues pour leur permettre d’exercer leurs droits et notamment d’engager un recours contre la décision de placement en rétention. Ce droit à un recours effectif est un droit fondamental protégé par la Constitution, dont l’effectivité n’est garantie que si l’aide juridique est apportée par un acteur sans conflit d’intérêt. Or la proposition de loi adoptée au Sénat le 12 mai 2025 évincerait les associations au profit de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), pourtant sous tutelle directe du ministère de l’Intérieur.