Une tribune initialement publiée dans Le Monde le 11 mai 2025
Le 12 mai prochain, le Sénat examinera une proposition de loi visant à confier à l’Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) la mission d’information juridique dans les centres de rétention administrative (CRA), ces lieux de privation de liberté où des personnes sont enfermées car elles n’ont pas de papier. L’objectif de cette proposition est d’évincer les associations de ces centres en supprimant leur mission d’aide à l’exercice des droits. Ce texte, s’il était adopté, porterait un coup fatal à l’exercice des droits des personnes privées de liberté et à la transparence démocratique.
Une indépendance essentielle, bafouée par la proposition de loi
Le droit au recours effectif est une exigence constitutionnelle (article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen), ainsi qu’une obligation européenne et internationale. Il garantit à toute personne, notamment une personne placée en rétention, la possibilité de contester devant un juge impartial les décisions qui la concernent : ici, sa privation de liberté ou la décision d’éloignement du territoire français.
Ce droit n’est effectif que si l’aide apportée est délivrée par un acteur sans conflit d’intérêt. Cette exigence a été rappelée par le Conseil d’État dès 2009 et consacrée par le droit européen. L’OFII, établissement public sous tutelle directe du ministère de l’Intérieur, chargé de la politique d’éloignement, ne saurait répondre à cette exigence élémentaire.
Contrairement à ce que laissent entendre les auteurs de la proposition de loi, l’intervention des associations en CRA est strictement encadrée par la loi. Les juristes informent les personnes retenues sur leurs droits et les accompagnent dans leurs démarches, sans jamais décider à leur place. Loin de nourrir de faux espoirs, l’assistance repose sur une information rigoureuse et réaliste. Les associations n’ont aucun intérêt à encourager des démarches inutiles : leur rôle est d’aider chacun et chacune à comprendre ses droits et à agir en connaissance de cause.
Une massification des recours du fait des associations ? Une vision erronée
Les parlementaires qui attaquent le rôle des associations en CRA dénoncent un nombre trop élevé de recours. Mais s’il y a des contestations, c’est parce qu’il y a des décisions contestables. En janvier 2024, la Cour des comptes pointait la surcharge des préfectures, avec +60 % OQTF en cinq ans. Cette massification des OQTF est le fruit d’une politique de restriction du séjour qui produit toujours plus de sans-papiers. Elle conduit la France à produire à elle seule près d’un tiers des décisions d’éloignement en Europe. Les décisions sont automatiques, sans examen individuel, parfois vers des pays où les personnes risquent leur vie, et souvent inapplicables. Dans ce contexte, les erreurs sont inévitables, et les associations permettent simplement aux personnes concernées de les identifier.
Les recours se multiplient contre des mesures de plus en plus nombreuses et de plus en plus souvent contestables du point de vue du droit puisque plus d’une personne sur 2 est finalement libérée.
Un rôle de transparence devenu indispensable
Les associations assurent aussi un rôle unique et indispensable : produire la seule source publique et indépendante d’informations sur les CRA, notamment grâce au rapport inter-associatif publié chaque année. C’est ce travail qui permet aux parlementaires, aux journalistes, aux chercheurs et aux citoyens de comprendre ce qui se passe derrière les murs des centres de rétention.
Ce rôle est d’autant plus essentiel que les conditions de rétention sont préoccupantes : situations de grande vulnérabilité, problèmes de santé non pris en compte par les autorités, etc. Nous alertons régulièrement sur l’impact de la rétention sur la santé des personnes, sur les tensions et les gestes désespérés qui en résultent, et qui mènent parfois à des situations dramatiques, notamment des décès. Nous dénonçons régulièrement des éloignements réalisés par l’administration hors cadre légal. Supprimer ce regard indépendant reviendrait à rendre la société aveugle sur les CRA. Cette transparence, loin d’être une posture, est un devoir démocratique. Elle est au fondement de tout contrôle citoyen sur l’exercice du pouvoir, en particulier lorsqu’il implique la privation de liberté.
Un argument budgétaire fallacieux
Les détracteurs de cette mission avancent également un argument de maîtrise des dépenses publiques. Mais en 2024, le coût total de l’assistance juridique en CRA s’élève à 6,5 millions d’euros. C’est une somme dérisoire comparée aux 220 millions d’euros consacrés chaque année à la rétention (selon la Cour des comptes).
Plus incohérent encore : les sénateurs favorables à ce texte sont souvent les mêmes qui soutiennent une autre proposition visant à allonger la durée maximale de rétention de 90 à 210 jours. Une mesure extrêmement coûteuse – jusqu’à plus de 70 000 € par personne – et totalement inefficace : les données disponibles montrent que la majorité des expulsions ont lieu dans les tout premiers jours.
Une alerte pour toutes les libertés
Derrière cette remise en cause ciblée se joue bien plus qu’un débat technique sur l’assistance juridique en rétention. Les associations jouent un rôle de vigie démocratique, elles assurent l’exercice effectif des droits, signalent les dysfonctionnements et les violations des droits, rendent visibles les réalités invisibles. Fragiliser leur place, c’est affaiblir un pilier de la démocratie : celui qui permet à la société civile d’opérer son devoir d’alerte.
Face à cette proposition de loi, nous appelons les parlementaires à ne pas franchir une ligne rouge : celle qui sépare une démocratie d’un système où le respect des droits et libertés devient une variable d’ajustement du pouvoir. Maintenir une assistance juridique indépendante en CRA, c’est respecter l’Etat de droit.
Signataires :
Jean-Marc Borello, président du Groupe SOS Solidarités
Pascal Brice, président de la Fédération des Acteurs de la Solidarité
Sylvie Guillaume, présidente de Forum Réfugiés
Benoit Hamon, président d’ESS France
Henry Masson, président de La Cimade
Alexandre Moreau, président de l’Anafé
Jean-François Ploquin, président de Solidarité Mayotte
Anne Savinel-Barras, présidente d’Amnesty International France
Nathalie Tehio, présidente de la Ligue des droits de l’Homme
Najat Vallaud-Belkacem, présidente de France terre d’asile
Liste complète des signataires
Contact presse : Yohan CAMBET-PETIT-JEAN, responsable communication > 07 63 57 72 73 / Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.