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Travailler en France, l'éprouvant nouveau départ des réfugiés

Publié le : 25/09/2015

Privés de travail pendant leur demande d'asile, ils n'aspirent qu'à relever les manches. Mais les étrangers reconnus comme réfugiés en France se heurtent à des embûches. De la barrière de la langue au culte du diplôme, tout les pousse vers des postes sous-qualifiés. Reportage.

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Deux demandeurs d'asile dans un foyer en Autriche. AFP/Joe Klamar

Avec précaution, Kennedy Mabesi extrait d'une pochette une feuille A4 écrue. Orné des drapeaux français et congolais, le document atteste, avec tampons officiels, que son propriétaire peut travailler dans la sûreté aéroportuaire. C'est l'un des rares papiers que Kennedy a emporté dans sa fuite du Congo-Kinshasa, en 2014. Sa femme avait réussi à mettre un " petit sac " à l'abri chez des proches avant que leur maison ne soit attaquée et leurs biens détruits. Fin juillet, Kennedy a ressorti sa précieuse attestation. Il venait d'obtenir le statut de réfugié en France et le droit de travailler. Mais chez Pôle emploi, la déception a été à la hauteur de ses espoirs. " On m'a renvoyé vers Roissy, puis vers la préfecture, où j'ai appris qu'il fallait être français pour pouvoir être embauché dans ce secteur, soupire-t-il. C'est dur de se dire que j'ai les capacités pour travailler dans mon métier, mais que je ne pourrai pas. "

Kennedy habite avec une centaine d'autres demandeurs d'asile et réfugiés dans une résidence aux murs blancs gérée par Coallia à la lisière de Noyon, dans l'Oise. Avec 3781 places à l'échelle nationale, l'association est le deuxième opérateur d'hébergement des demandeurs d'asile après Adoma, l'ex-Sonacotra. Congolais, nigérians, kosovars, géorgiens... A Noyon, une partie des résidents attendent d'être fixés sur leur sort. D'autres, comme Kennedy, viennent d'obtenir le statut de réfugié et se réinventent pas à pas une existence dans leur nouveau pays. A commencer par une vie professionnelle, car le marché de l'emploi leur est désormais ouvert, contrairement aux demandeurs d'asile. Ces derniers n'ont pas le droit de travailler pendant la première année d'examen de leur dossier et se heurtent ensuite à l'opposabilité de la situation de l'emploi: l'autorisation peut être refusée au motif que le chômage est trop élevé dans un secteur et une région.


Travailler vite pour se rendre utile

Au rez-de-chaussée, une équipe de travailleurs sociaux accompagne les néo-réfugiés pendant quelques mois, avant qu'ils ne basculent dans le " droit commun ": Pôle emploi, les missions locales, les conseils départementaux pour les bénéficiaires du RSA, etc. La fenêtre est étroite et la tâche immense. " C'est un public qui veut travailler tout de suite, constate Nathaëlle Bricaust, conseillère en insertion professionnelle. Les réfugiés veulent montrer leur reconnaissance en se rendant utile et éviter à tout prix de passer des mois au chômage. " Une nouvelle phase d'attente se profile pourtant, à laquelle peu sont préparés. " La plupart vont devoir se former et seront tributaires des calendriers des organismes ", complète Céline Lemonnier, en charge de l'accompagnement social.

Il faudra ensuite démarcher les employeurs dans un marché du recrutement aussi sinistré que difficile à appréhender. " En France, nous accordons beaucoup d'importance aux mots, au réseau, à l'image. Cette culture professionnelle n'a rien à voir avec ce que les réfugiés ont connu, y compris les francophones ", pointe Nathaëlle Bricaust. Kennedy Mabesi se désole d'avoir vu un poste lui échapper faute de véhicule. " Comment pourrais-je me payer une voiture tant que je n'ai pas de travail ? " Les recherches peuvent alors prendre des mois, dans une période de fragilité pour les réfugiés. " Beaucoup souffrent de syndromes post-traumatiques, pointe Sandrine Crapez, chef de service. Ils suivent des traitements et dorment mal, ce qui les oblige parfois à vivre en décalé. "

 

500 euros pour récupérer son diplôme

Environ la moitié des personnes accompagnées par Coallia ne parlent pas français, c'est souvent la première barrière à lever. Depuis 2007, les réfugiés signent avec l'Etat un " contrat d'accueil et d'intégration " (CAI) qui prévoit un test de langue et une réorientation éventuelle vers des cours. En pratique, le niveau exigé, plutôt faible, n'est pas suffisant pour trouver un travail. " Et les budgets ne sont pas à la hauteur des ambitions de formation ", estime Eric Nicaise, directeur de l'unité territoriale de Coallia dans l'Oise. L'association, qui fonctionne elle aussi sur des crédits serrés, assure des cours " par débrouille et par réseau ". A Noyon, un partenariat avec des maisons de quartiers permet d'offrir quelques heures de français par semaine. Le collège du coin fait de même pour les parents des enfants scolarisés chez lui.

Se pose aussi la question de la reconnaissance des compétences. L'écrasante majorité n'emportent dans leur exil qu'un acte de naissance. Il faut compter sur des relais locaux pour mettre la main sur les diplômes, quand les réfugiés en ont. Les ambassades et les ONG servent d'intermédiaire, parfois aussi des particuliers plus ou moins bien intentionnés. " Un monsieur a envoyé 500 euros à un contact pour récupérer son diplôme de technicien de laboratoire dans son pays d'origine. Il n'en a jamais vu la couleur ", se souvient Nathaëlle Bricaust. Et même s'ils obtiennent une équivalence de leur niveau de qualification, beaucoup doivent repartir de zéro. A part peut-être les entrepreneurs, la plupart n'exerceront plus leur métier d'origine.


Un journaliste devenu vigile

Certains y trouvent l'occasion d'un nouveau départ. Yamile Tapia Vera, une jeune résidente de Noyon arrivée du Mexique où elle vendait des vêtements, apprend le français et rêve d'une formation d'aide-soignante. D'autres subissent un déclassement brutal. Nathaëlle Bricaust voit défiler dans son bureau " enseignants, avocats, journalistes et même un opérateur d'une Cour des comptes. Leur plus gros atout pour trouver du travail, c'est qu'ils acceptent de se déqualifier ", constate la conseillère en insertion. Comme chez ce " journaliste international " malien qui a suivi une formation de manutentionnaire, pour arriver chez Monoprix comme vigile.

Dans une étude de 2006 sur l'insertion professionnelle des réfugiés, France terre d'asile constatait que ceux qui trouvaient du travail exerçaient dans des métiers peu qualifiés: ouvrier, aide-soignant, employé de restauration collective, serveur, etc. " Il y a quelques années, les réfugiés diplômés avaient encore beaucoup de mal à admettre que leur bac+4 ou +5 ne soit pas reconnu en France. Aujourd'hui, ils l'acceptent plus vite, juge Nathaëlle Bricaust. Peut-être que notre approche a changé aussi. Dès les premiers entretiens, on travaille le projet de la personne en partant de ce qu'elle sait faire, mais aussi des besoins du territoire et du marché du travail. Sans ça, leur situation s'enlise et ils vivent encore plus mal l'attente. "


Besoin de temps

Plus les recherches d'emploi s'éternisent, plus la tentation d'accepter le premier boulot venu devient forte. Kennedy Mabesi doit gagner sa vie pour que sa femme et ses trois enfants puissent le rejoindre en France. " Je dois payer 250 dollars pour chaque passeport et trouver un logement. Au chômage, je ne vais pas y arriver ", soupire-t-il. Nathaëlle Bricaust se souvient d'un réfugié tibétain qui avait accepté un poste éreintant dans une cuisine, au noir. Il dormait sur place. " Heureusement, les réfugiés nous en parlent. On leur rappelle que c'est illégal, qu'ils prennent des risques, qu'il leur faut un contrat et des fiches de paie pour trouver un logement. " Les travailleurs sociaux tentent aussi d'éviter que les réfugiés s'en remettent trop vite aux ressortissants de leur pays d'origine. " Certains se tournent vers leur communauté pour travailler rapidement dans leur langue, commente un membre de l'équipe. Même si ça peut être un choix, ce n'est pas complètement satisfaisant pour nous, car nous voulons qu'ils s'insèrent en France le plus durablement possible. "

En 2014, 71% des 31 réfugiés passés par le centre provisoire d'hébergement de Noyon étaient au chômage. La majorité finissait de suivre des cours de français. D'autres ont trouvé un emploi trois mois plus tard ou ont choisi de devenir mère au foyer. 16% avaient repris un emploi avant leur sortie, en contrat d'insertion, en intérim ou en CDD dans la restauration, le ménage ou le BTP. Les 13% restant sont retournés se former. Les réfugiés ont " besoin de temps pour observer, comprendre, formaliser et assimiler ce que représente le travail en France ", notait le rapport d'activité de Coallia. Un travail de long terme que " la durée de prise en charge, qui excède rarement les six ou neuf mois ", permet difficilement. Et ensuite? L'association ne connaît pas le devenir de ceux qui quittent ses murs. Mais ses équipes assurent que ceux qui repassent quelques années plus tard ont du travail. Et que leurs enfants réussissent à l'école.

Par Alexia Eychenne, L'Express, le 24/09/2015