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Une bombe à retardement

Publié le : 15/10/2010

Décryptage de la situation des enfants abandonnés à Mayotte

Saïd Omar Oïli, conseiller général de Dzaoudzi-Labattoir et ancien Président du conseil général de Mayotte, alerte depuis 2008 les autorités françaises sur la situation des mineurs abandonnés à Mayotte. Avec l'accroissement des reconduites à la frontières de leurs parents en situation irrégulières, ce sont 4000 enfants qui se retrouvent en danger.

 En février 2008, en tant que président du conseil général de Mayotte, j'avais alerté les autorités de l'Etat dans un courrier adressé au ministre des Affaires sociales sur la situation des mineurs étrangers isolés. En effet, le dispositif social des reconduites à la frontière mis en place par la préfecture publiait pour le seul mois de janvier de 2008 le chiffre de 173 enfants sans référent légal, après les reconduites à la frontière des parents en situation irrégulière. Nous étions plusieurs responsables à considérer ce chiffre comme inquiétant.

Sur une année, plus de 1500 enfants étaient abandonnés sur le territoire français pour une population estimée à 186.000 habitants en 2007 (chiffre Insee). A l'époque, le conseil général de Mayotte avait pris une partie des compétences de l'aide sociale à l'enfance, sans avoir l'obligation au regard des textes applicables à Mayotte et sans les moyens financiers et humains correspondants. J'étais dans mon rôle d'alerter les plus hautes autorités de l'Etat sur la gravité de la situation. Je n'ai jamais eu de réponse à mes courriers.

Quelques mois plus tard, Madame Versini, la défenseure des enfants, effectue une mission sur Mayotte pour se rendre compte de la situation sur le terrain, au regard du respect des droits de l'enfant définis par la Convention internationale des droits de l'enfant. S'exprimant devant la presse à la fin de sa mission, elle portera un diagnostic sans appel: «Une situation qui me dépasse», titre Mayotte Hebdo dans son édition du 10 octobre 2008.

Dans son rapport annuel de 2008, Madame Versini va annexer un document de 22 pages intitulé «Regard de la défenseure des enfants sur la situation des mineurs à Mayotte » qui confirme la gravité des situations constatées. Elle conclut par ce propos: «Certaines problématiques ont interpellé la défenseure des enfants au regard notamment de la Convention internationale des droits de l'enfant...(dont) l'accès des enfants aux soins du secteur public, la prise en charge des enfants en difficulté, l'admission des enfants au sein du système scolaire... » L'année suivante, le Comité des droits de l'enfant de l'ONU va se saisir du cas particulier de Mayotte, qui sera cité plusieurs fois dans le compte rendu, tout particulièrement la situation des enfants isolés.

Près de trois ans après mon intervention, cette situation, de grave, est devenue dangereuse.  En effet, dans une intervention au journal télévisée de RFO, le préfet de Mayotte, le mois dernier, a confirmé le chiffre de 4000 enfants abandonnés après la reconduite à la frontière des parents, pour la plupart d'origine anjouanaise. Il répondait à une question du journaliste sur la présence d'enfants souvent très jeunes sur les barrages des routes organisés à l'occasion de conflits sociaux. Enfin, les services judiciaires sont de plus en plus confrontés à des mineurs délinquants récidivistes et sans référent sur Mayotte.

Le nombre de ces enfants abandonnés, 4000 pour 200.000 habitants à Mayotte, doit interroger le gouvernement, d'autant qu'on estime (rapport 2009 de la défenseure des enfants) un flux pour la France entière de 4000 à 5000 enfants isolés par an. C'est pour toutes ces raisons que j'ai adressé au ministre des Affaires sociales, le 27 septembre 2010, un nouveau courrier pour lui faire part de mes profondes inquiétudes sur la situation des mineurs isolés, qui a empiré ces dernières années.

Je tire la sonnette d'alarme et j'évoque une «véritable bombe à retardement pour Mayotte», dans un territoire qui connaît une crise économique sans précédent. Après le rapport de Dominique Versini en 2008 et celui, plus récent, de la sénatrice Isabelle Debré, l'Etat ne peut pas en rester au seul constat et ne pas prendre des initiatives concrètes avec les services du Conseil général. Ces mineurs isolés sont des victimes qui sont en danger et qui peuvent mettre en danger la société mahoraise et l'ensemble de l'île de Mayotte.