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Grande-Synthe et Cologne, maires d’accueil

Publié le : 11/03/2019

libération net



Confrontés à l’arrivée de nombreux réfugiés dans leur commune, les édiles Damien Carême et Henriette Reker racontent à «Libération» comment ils ont géré leur intégration malgré un soutien trop faible des États français et allemand.

Il a été élu maire de Grande-Synthe (Nord), ville proche de Calais, en 2001. Elle est devenue première magistrate de Cologne (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) en 2015, après avoir été cinq ans adjointe aux affaires sociales et à l’intégration. La crise européenne autour des migrants, le Français Damien Carême, ex-PS qui se présente aujourd’hui avec les écologistes aux élections européennes, et l’Allemande Henriette Reker (indépendante, élue avec le soutien de la CDU, du FDP et des Verts) l’ont donc vécue en direct de leur poste de responsables politiques locaux. Nous les avons rencontrés à Paris à l’occasion d’un colloque organisé par France terre d’asile pour discuter accueil et intégration, rôle des villes et responsabilités de l’Europe.


Lorsque vous avez été élus, à quoi ressemblait la situation migratoire dans votre ville ?

Henriette Reker : Il fallait se préparer à accueillir un grand nombre de personnes. En 2006, le conseil municipal a décidé qu’on devait avoir des hébergements pour les migrants, qui ne pouvaient pas être des tentes, qu’il fallait loger les familles séparément, que les structures ne devaient pas dépasser 80 personnes… On a essayé en amont de trouver ces logements, qui manquent dans les grandes villes. En 2015, nous avons quand même été pris de court. On a réquisitionné 30 gymnases, ce qui a rendu les choses difficiles pour les écoles et les associations sportives.

Damien Carême : En 2001, la question ne se posait pas. Elle a commencé à apparaître en 2004, avec les premiers passages. Les associations ont très vite pris en charge l’accueil. La première action qu’on a mise en œuvre remonte à 2008. L’hiver était rigoureux et, pour la première fois, on voyait des femmes et des enfants. On a installé une grande tente chauffée et là, j’ai commencé à me faire engueuler par le préfet de l’époque. Il disait que j’allais créer un appel d’air, qu’on faisait le jeu des passeurs… Discours qui n’a pas changé onze ans après. En 2008 on met une tente, en 2009 on en met deux, on organise les toilettes, les douches… Avec la menace du «délit de solidarité» qui pèse. Tout ça a continué jusqu’à l’été 2015, où l’on est passé d’une cinquantaine de personnes à 2 500 en six mois.


Comment vos administrés ont-ils réagi à votre posture volontariste ?

D.C. : Ce n’était même pas un sujet. J’avais instauré un mode de communication avec la population, en leur faisant un courrier tous les mois. Je n’ai jamais eu de retour négatif.

H.R. : Cologne est une ville qui considère que l’intégration et l’immigration sont une chance. Mais il fallait préparer les gens pour qu’ils ne soient pas mis devant le fait accompli. J’ai engagé un dialogue avec la population, très tôt, dès 2012. Il ne s’agit pas de demander si on va installer un centre : on va le faire de toute façon. Mais de parler du «comment» avec ceux qui seront à proximité. J’ai écouté leurs préoccupations et accueilli les suggestions. Il y avait aussi la peur d’une modification de l’identité du quartier. Les premières réunions publiques étaient difficiles et, au fur et à mesure, ça s’est amélioré. Ensuite, les expériences positives d’hébergement ont contribué à nouer le dialogue.


C’est ça, la clé ? Le dialogue ?

H.R. : J’ai toujours parlé sans ambages, j’ai essayé de me mettre à leur place et de dire : «Je sais que vous avez mis tout votre argent pour acheter cette maison, que vous avez toujours vu les champs de votre fenêtre, et que dorénavant vous aurez vue sur un centre d’accueil. Evidemment vous n’êtes pas contents. Mais moi non plus je ne peux pas choisir mes voisins, et ici il s’agit d’aider des personnes qui ont risqué leur vie pour fuir la détresse.» Quand on pèse le pour et le contre, la survie des uns et la vue panoramique des autres, tout le monde finit par accepter. Mais il faut nommer un chat un chat, ne pas faire de la langue de bois et prendre au sérieux les remarques.

D.C. : Il faut toujours tout expliquer à la population. Il faut être complètement transparent, dire les choses, et les gens comprennent.

 

Quels sont les obstacles que vous avez rencontrés, en tant que maire, dans votre travail en direction des migrants ?

H.R. : Pour moi, le plus difficile, c’était avant d’être maire. Quand j’avais conscience qu’il allait y avoir un mouvement migratoire et que je ne pouvais pas agir. Après, quand on est empathique, respectueux, et qu’on a la conviction que l’immigration est une chance, notamment pour répondre au vieillissement démographique, ça va.

D.C. : La principale difficulté chez moi, ça a toujours été l’Etat. En 2015, j’ai interpellé le sous-préfet, le préfet, les ministres… Face à Cazeneuve, j’ai vite compris qu’il faudrait que je me démerde. Il n’y avait aucune réponse de l’Etat. Ensuite, Collomb a été le pire ministre de l’Intérieur, même si Castaner lui emboîte le pas. Son propos était clair : «Faire passer l’envie aux migrants de venir chez nous.»


Les villes sont-elles suffisamment armées pour organiser cet accueil ?

H.R. : Non. Il n’y a pas de soutien fédéral, à part la somme forfaitaire qu’on nous verse par migrant relocalisé, mais ça ne concerne pas ceux qui viennent d’eux-mêmes. Il y a des villes qui ont des problèmes financiers et qui dépensent énormément pour ces migrants. Elles doivent augmenter les impôts locaux. A ce moment-là, la situation se corse, cela déclenche une discussion sur la justice sociale… C’est pourquoi dans ce système fédéral, avec les Länder, les villes ont besoin de plus de soutien. Cologne a dépensé 150 millions de plus que ce qu’on avait reçu. C’est une somme considérable dans son budget.

D.C. :Il faut comprendre que le problème n’est pas conjoncturel mais structurel, on ne l’endiguera pas ! Il faut organiser dans nos villes des lieux d’accueil, de la même façon qu’on a 20 % de logements sociaux. Avec une notion d’inconditionnalité de l’accueil, pour qu’on n’ait pas le soupçon d’en faire plus pour les étrangers que pour les SDF. Je prône un accueil qui repose sur un triptyque Etat-ville-associations. L’Etat doit payer, la ville est l’interface avec la population et les bénévoles font le lien social.


En 2015, au moment du pic migratoire vers l’Europe, l’Allemagne et la France ont eu des positions assez éloignées. Comment l’avez-vous vécu ?

H.R. : Angela Merkel a évité le pire scandale humanitaire. Le principal défi a été de faire face [au pic migratoire] alors que nous n’étions pas suffisamment préparés. Mais il faut avoir en tête que si la chancelière avait fermé les frontières, des centaines de milliers de personnes qui étaient sur la route des Balkans seraient mortes de faim ou de froid. Elle a pris une décision très courageuse mais inévitable. A Cologne, les gens ont pensé : «L’Allemagne a 80 millions d’habitants, si 1 million [de migrants] s’y ajoutent, c’est comme si vous êtes 80 au bistrot, il y a la place pour un invité de plus.» Mais cette attitude de la population de Cologne n’a pas été partagée partout.

D.C. : Cette période, où Valls donnait des leçons à Merkel, c’était pitoyable. Le gouvernement a eu peur de faire le jeu de l’extrême droite, mais c’est lui qui l’a fait. Moi, au contraire, en organisant l’accueil, je la combats. L’Allemagne a montré la route et la France n’a pas su suivre. La relation entre les Etats membres de l’UE s’est fissurée sur la question migratoire.

 

Que faire, alors que le dialogue paraît de plus en plus difficile et que le règlement de Dublin, qui avait été mis en place pour éviter une inégalité entre les pays (1), est remis en cause ?

H.R. : J’aimerais bien que la France et l’Allemagne progressent ensemble pour donner la direction. Il faut se chercher des alliés et ensuite agrandir le cercle. Il y a des pays desservis par leur position géographique, il faut trouver une autre solution que celle du règlement de Dublin, qu’on ne peut plus appliquer à notre époque, pour compenser ce handicap géographique. Si la France et l’Allemagne s’entendent, elles peuvent se positionner comme moteur.

D.C. : La montée du populisme en Italie, c’est la faute de l’Europe car on l’a laissée se débrouiller. C’est le bal des faux-culs : on dit à l’Italie qu’on va l’aider et on lui renvoie les «dublinés» ! Il faut maintenant raconter une autre histoire, et, plutôt que de claquer des milliards dans Frontex [l’agence européenne chargée de protéger les frontières, ndlr], prendre cet argent pour organiser l’accueil.

 

A l’approche des élections européennes, est-ce que l’immigration est au cœur des débats chez vous ?

H.R. : Non, à peine. Le mouvement migratoire n’a pas provoqué de réelle percée de l’extrême droite ou du populisme. C’est aux politiques d’expliquer aux citoyens que le changement démographique en Europe ne peut être compensé sans les migrants. Ceux qui haussent le ton ne proposent rien.

D.C. : J’ai une ville qui connaît une grande difficulté sociale. J’ai 28 % de chômage, 33 % des foyers en dessous du seuil de pauvreté. Si vous regardez la carte des résultats dans le Nord au premier tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen est en tête dans toutes les communes du littoral sauf la mienne. Et pendant ce temps, j’ai 1 400 réfugiés. Ce qui veut dire que ça marche quand on crée des liens entre accueillants et accueillis… La majorité silencieuse est plutôt accueillante en France. Quant au vote FN, il n’est pas que raciste, il est aussi un ras-le-bol d’être exclu, de ne pas comprendre une Europe dont ils ont l’impression qu’elle impose beaucoup. Il faut changer le quotidien des gens, ça passe par exemple par le smic européen. C’est une question de choix politique.

(1) Le règlement de Dublin prévoit que la demande d’asile soit instruite par le premier pays par lequel une personne est entrée dans l’Union européenne. Si elle se rend dans un deuxième pays, celui-ci a six à dix-huit mois pour la renvoyer vers le premier pays avant de devenir le pays responsable de l’instruction de sa demande.

 

Libération, par Kim Hullot-Guiot — 10 mars 2019 à 19:06