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Article issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration n°95 - Le parcours des combattantes

 

L'exil féminin en France

 

La migration en France se caractérise par une part croissante de femmes ces dernières années. Quelles sont les causes les ayant poussées au départ et quels défis rencontrent-elles dans leur parcours dès leur arrivée en France ?

 

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@UNHCR/James Oatway

Selon les données des Nations unies, les femmes représentent un peu moins de la moitié de la population migrante au niveau mondial, et 50,5 % des personnes déplacées dans le monde en 20201. Si les femmes ont toujours migré, elles sont de plus en plus nombreuses à le faire de manière autonome. Ce processus de féminisation des migrations a eu inévitablement une répercussion sur la composition de l’immigration en France, où le nombre de femmes étrangères présentes sur le territoire hexagonal dépasse celui des hommes depuis 20082, représentant 51,5 % du total en 2020, tous types d’immigration confondus3. Concernant plus précisément les personnes en besoin de protection, 31 672 des 96 424 demandes d’asile enregistrées à l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) durant l’année 2020, soit un tiers, étaient émises par des femmes. Ces femmes sont originaires à 55 % du continent africain, mais aussi à 24 % d’Europe, notamment d’Albanie ou de Russie. Au total, au 31 décembre 2020, 41,3 % des personnes protégées en France étaient des femmes, contre 40 % au 31 décembre 20194.


LA MIGRATION COMME VECTEUR D’ÉMANCIPATION


S’il existe des causes d’exil communes avec les hommes, certaines sont spécifiques aux femmes. Les motifs les plus fréquents sont les mariages forcés et précoces, les violences conjugales et intra-familiales, la traite aux fins d’exploitation sexuelle, les mutilations sexuelles, dont le nombre augmente chaque année, ainsi que les violences systémiques à caractère sexuel5. À titre d’exemple, une étude réalisée en 2017 par le Comède auprès de 16 000 de leurs patients et patientes, révèle que 74 % des femmes déclarent des antécédents de violences liées au genre, et 52 % des antécédents de torture6.
L’exil permet ainsi à ces femmes d’échapper à des situations dangereuses et inégalitaires, souvent liées au genre, et de s’inscrire dans une démarche d’émancipation. « Ces femmes, ce sont celles qui refusent le destin auquel elles sont assignées », explique Camille Schmoll, géographe spécialiste des questions migratoires, au sujet de celles qui tentent la traversée de la Méditerranée. Elles choisissent de risquer leur vie dans cette traversée, dans une « poussée d’autonomie »7. Maîtresses d’une trajectoire nécessaire afin de fuir des situations conjugales imposées ou des persécutions souvent sociétales, « elles ont eu le courage de dire ce qu’elles ne vou-laient pas être. […] C’est le désir intraitable d’une femme qui décide de renverser son destin social », décrypte Ilaria Pirone, maitresse de conférence à l’Université Paris 88.

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© UNHCR/Markel Redondo

UN PARCOURS SEMÉ D’EMBÛCHES


Le parcours d’intégration des femmes exilées s’avère cependant d’autant plus complexe qu’elles doivent faire face à une multiplicité d’obstacles, liés simultanément à l’exil et au genre. En matière d’accès aux soins, aux formations professionnelles et à l’emploi, ou encore en termes d’apprentissage linguistique, elles rencontrent ainsi plus de difficultés que les hommes mais également que les femmes ayant migré pour des raisons autres que l’asile. Par ailleurs, comme le souligne le rapport sur la situation sanitaire et sociale de l’immigration en France dévoilé le 26 février 2020 par l’Académie nationale de médecine, ces freins à leur insertion peuvent également être exacerbés par les séquelles psychologiques des violences qu’elles ont pu subir dans leur pays d’origine, durant le trajet migratoire, mais également après être arrivées en France9. Déjà conscient de l’enjeu, le Haut Conseil à l’égalité Femmes/Hommes (HEC) préconisait en juin 2018 la création de places d’hébergement en non-mixité dans les Centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) pour les femmes isolées et les mineures, ainsi que la sensibilisation des acteurs de l’asile à la détection des signaux de violences et d’exploitation sexuelle10.
Ces dernières années ont ainsi été marquées par des avancées notables en la matière, notamment grâce à la mise en place de sessions de formation sur les questions de vulnérabilités, de violences et de traite des êtres humains, à destination des personnels de Cada et des agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). À cela s’ajoute la création dès 2019 de 300 places d’hébergement au sein du Dispositif national d’accueil dédiées aux femmes en danger, qu’elles soient demandeuses d’asile ou réfugiées11. Ces progrès ont récemment été renforcés par le Plan « Vulnérabilité », publié par le ministère de l’Intérieur le 28 mai 2021, avec comme objectif, entre autres, d’améliorer leur prise en charge12.
Malgré les freins rencontrés, les femmes exilées font preuve de résilience afin d’aller de l’avant dans une dynamique d’intégration. À l’instar de Josiane Kijigo, bénéficiaire d’une protection internationale et membre de l’Académie des réfugiés de la Délégation interministérielle à l’accueil et l’intégration des réfugiés, qui a lancé en juin 2021 sa plateforme de plaidoyer et de communication sur les droits des femmes, baptisée « Sociétés et Prospectives »13. Pour toutes ces actrices du changement, c’est à la suite d’un long parcours parsemé de nombreux défis qu’elles ont su se reconstruire ailleurs pour mener à bien leurs projets et mettre à profit leurs compétences en devenant bénévoles, journalistes, chercheuses, artisanes, ou encore travailleuses sociales engagées.

Pour consulter l'intégralité de la Lettre de l'asile et de l'intégration n°95 - Le parcours des combattantes, cliquez ici.
 
 
1 - NATIONS UNIES, International Migrant Stock 2020 ; UNHCR, Global trends : Forced displacement in 2020, 2021.
2 - BEAUCHEMIN, Cris et alii, « Les immigrés en France : en majorité des femmes », Population et Sociétés,
no. 502, Ined, juillet-août 2013.
3 - NATIONS UNIES, International Migrant Stock 2020.
4 - OFPRA, Rapport d’activité, 2019 et 2020.
5 - Ibid.
6 - Intervention de Laure WOLMARK, coordinatrice du pôle santé mentale au COMEDE – présentation de l’étude: « Violence, vulnérabilité sociale et troubles psychiques chez les migrants/exilés » lors du colloque, Santé de personnes migrantes, organisé le 2 avril 2019 par le Samusocial de Paris et la FAS.
7 - SCHMOLL, Camille, Les damnées de la mer : Femmes et frontières en Méditerranée, La Découverte, 2020. 8 - PIRONE, Ilaria, « Ces femmes devant nous », Discours d’ouverture de la journée d’étude « Trajets de femmes : clinique de l’exil », 24 juin 2021.
9 - Académie nationale de médecine, Rapport 20-01. L’immigration en France : situation sanitaire et sociale, 26 février 2020.
10 - HCEFH, « Réforme de l’immigration et de l’asile : La nécessité de mieux prendre en compte la situation des femmes migrantes et demandeuses d’asile », communiqué, 18 juin 2018.
11 - Ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, 2nd plan d’action national contre la traite des êtres humains 2019-2021.
12 - Ministère de l’Intérieur, 10 actions pour renforcer la prise en charge des demandeurs d’asile et des réfugiés vulnérables, 28 mai 2021.
13 - DIAIR, Portrait des lauréats de l’Académie, 22 juin 2021.