fbpx
Main menu

Le droit d'asile, la Libye et les pays du Sahel

 ftda av site 2c petit

Tribune de Thierry le Roy, Président du Conseil d’administration de France terre d’asile

Après la Turquie, les pays du Sahel. Après la route de la Méditerranée orientale, celle de la Méditerranée centrale inquiète l'Europe. On jette aujourd'hui un voile pudique sur les qualités qu'il a fallu prêter à la Turquie pour qu'elle retienne à notre place les demandeurs d'asile, et on se tourne vers la Libye et ses voisins d'Afrique.

Au passage, il faut noter une avancée. En 2016, lorsque l'UE (Commission) mettait les questions migratoires au centre de sa politique africaine, avec l'offre d'un "cadre de partenariat", il s'agissait de lutter contre les passeurs, de développer les retours volontaires de migrants, de renforcer les contrôles aux frontières, avec des moyens (le fonds fiduciaire d'urgence), on ne se préoccupait pas du droit d'asile. En 2017, lors du sommet de chefs d'Etat européens et africains tenu à Paris le 28 août, il s'agit, plus que jamais, de traiter les flux migratoires en amont de leur arrivée sur le continent européen, mais la question de l'asile apparaît : il s'agirait de traiter la demande de migration et d'asile dans des centres ou "missions" situés en Libye ou dans les pays voisins du Sahel.

Ce changement est important. Pas seulement parce que l'idée de traiter les questions en amont n'est pas contestable dans son principe. Aussi parce qu'on ne peut dire que les flux qui passent par la Libye ont des motifs purement économiques, liés à la pauvreté et à la démographie propres à bien des pays africains. Les crises et les conflits y engendrent aussi de véritables demandes d'asile.

Mais la politique qui s'esquisse ainsi pose au moins deux ordres de questions;

Celle de sa myopie, d'abord. Les programmes d'action proposés ne procèdent d'aucune analyse explicite des flux d'aujourd'hui et de demain, ne distinguent pas, même pour la seule demande d'asile, ce qui relève d'un traitement personnalisé, comme l'exige la convention de Genève, de ce qui relève d'une approche plus collective, de la protection temporaire de minorités. Aucune anticipation, non plus, sur ce que pourraient être demain des réfugiés dits climatiques.

Mais question encore plus immédiate de la portée réelle de ces programmes d'action dans les pays tiers de transit : va-t-on contribuer à dissoudre le droit d'asile dans la gestion des flux migratoires, ou peut-on en attendre une amélioration de la protection des demandeurs d'asile ?

Il faut, pour en juger, regarder de près ce qui a été proposé et ce qui le sera.

Il a d'abord été question de "hotspots" en Libye. Dispositif proche de l'accord turc de mars 2016 : la frontière de l'Europe est déplacée au sud de la Méditerranée, pour les politiques de retour des migrants mais aussi pour le premier accueil des demandeurs d'asile. Pour que cela soit admissible au regard des principes de l'asile, encore faut-il qu'il y ait un Etat, et un Etat signataire et respectueux de la convention de Genève. Conditions encore bien loin d'être remplies en Libye (ce qui ne dispense pas d'agir, sur un plan plus purement humanitaire, pour que les camps d'accueil ou de détention n'y soient plus ce qu'ils sont aujourd'hui).

Le projet européen a évolué, on l'a vu au Sommet du 28 août. Il s'agit maintenant de coopérer, dans le même esprit, avec les Etats du Sahel situés plus en amont sur la route migratoire. On trouve là des Etats qui peuvent, sinon accorder l'asile, accueillir des centres à partir desquels des programmes de "réinstallation" pourront être élaborés, comme le HCR a pu aider le Liban et la Jordanie à en accueillir face aux crises irakienne et syrienne. Pas tout à fait nouveau dans le Sahel: un accord de réinstallation aurait déjà été signé entre le Tchad et les Etats-Unis. Pas incohérent avec l'idée que l'asile peut être temporaire, et en ce cas principalement assuré par des pays voisins du pays d'origine.

Mais comment cela peut marcher ?

Ni l'UE et ses Etats membres, ni le HCR, ne peuvent se substituer à l'Etat concerné, qui doit être volontaire. Les Etats du Sahel les plus immédiatement concernés - le Niger, le Tchad - l'ont dit: pas de centre qui crée un "appel d'air" dans les pays voisins; donc, des dispositifs qui ne traitent que les demandeurs d'asile préalablement identifiés et enregistrés comme tels (par le HCR) - on parle de "listes fermées. De tels dispositifs peuvent-ils être aussi durables que les causes de la demande d'asile ?

Les programmes de réinstallation ont le mérite de confronter des demandes (individuelles) et des offres (d'Etats) multiples. Les Etats membres de l'UE ne sont pas seuls concernés: peuvent l'être aussi d'autres Etats, voisins ou d'origine, en concurrence ou à défaut d'une offre européenne. Le rôle du HCR peut-il aller jusqu'à réguler un tel "marché" ? Quel rôle peut jouer, pour l'accueil en France, l'assistance envisagée de l'OFPRA ? On se souvient que l'Italie avait refusé l'intervention envisagée par la France dans ses hotspots pour y choisir les bénéficiaires d'une relocalisation.

Enfin, si un tel programme prend une ampleur à la hauteur des flux attendus (encore qu'on reste loin, aujourd'hui, en Méditerranée centrale, des chiffres de 2015 d'arrivée en Europe par la Turquie et le Grèce), se reposeront toutes les questions déjà soulevées par les programmes de réinstallation : y a-t-il assez d'offres volontaires, et pas seulement des Etats signataires de la déclaration du 28 août ? Quel droit aura le demandeur d'asile ainsi enregistré dans un pays du sahel, avec l'aide de l'OFPRA et sous l'oeil du HCR, d'obtenir finalement le statut de réfugié dans le pays européen de réinstallation ? Comment se superposeront les critères de cet enregistrement (la déclaration du 28 août parle de la "pertinence du dossier de demande d'asile" et du "lien avec la migration en Europe") avec ceux de la détermination des réfugiés qu'appliquent aujourd'hui, dans le cas de la France, l'OFPRA et la CNDA ? Quel droit, enfin, à ne pas être refoulé à une frontière de l'UE conservera réellement le demandeur d'asile qui n'aura pas été enregistré, ou dont l'enregistrement aura été refusé ?

Ces questions, de fait autant que de droit, sont à nos yeux décisives pour la sauvegarde du droit d'asile. La démarche proposée peut aboutir au meilleur - ouvrir une voie légale d'accès en Europe aux demandeurs d'asile - ou au pire. L'objectif déclaré de dissuader un nombre élevé de migrants de s'engager sur une route mortelle, ou qui les livre aux passeurs, peut faire craindre que cette politique n'aboutisse, comme l'ont déjà dit bien d'autres associations, qu'à déplacer vers des pays tiers les frontières de fait de l'Europe, et à fermer, sans le dire, ses frontières légales actuelles aux demandeurs d'asile.

Article issu de notre Newsletter de septembre 2017