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Premier accueil à Paris : ordonnance du juge des référés du TA de Paris du 13 février 2019

Publié le : 15/02/2019

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Le vendredi 15 février 2019


Tribune de Frédéric Tiberghien, Membre du Conseil d’administration de France terre d’asile

 

Dans la période difficile que connaissent les demandeurs d’asile, deux questions majeures d’accès se posent : l’accès au territoire européen d’une part, l’accès à la procédure d’asile d’autre part. S’il est souvent question de la première, compte tenu des restrictions de tous ordres mises en place par l’Union européenne, la seconde est moins souvent évoquée.

Pour mettre fin aux longues files d’attente physiques devant les plateformes d’accueil des demandeurs d’asile et aux incidents qui en découlaient, l’OFII a mis en place en mai 2018 une plateforme d’accueil téléphonique régionale permettant de recevoir les appels des demandeurs d’asile en région parisienne et de leur attribuer un créneau horaire dans l’une des structures de premier accueil des demandeurs d’asile (Spada) où ils présentent leur demande d’asile avant d’être ensuite réorientés vers un guichet unique pour demandeurs d’asile (Guda).

Ayant constaté que des appels téléphoniques n’étaient pas pris et que le délai de trois jours prévu par l’article L.741-1 du CESEDA n’était pas respecté, plusieurs associations ont demandé au juge des référés du Tribunal administratif de Paris, par une requête du 2 février 2019, d’enjoindre à l’OFII, au préfet de police et au ministre de l’intérieur toute une série de mesures pour permettre l’accès aux Spada (gratuité de l’appel, élargissement de la plage horaire de réception des appels, renforcement des effectifs des Spada et des Guda…).

1-Le juge des référés a tout d’abord écarté dans son ordonnance du 13 février 2019 une exception d’incompétence opposée par le ministre et par l’OFII.

Il a d’une part considéré qu’il y avait urgence à se prononcer sur le fondement de l’article L.512-2 du code de justice administrative, en relevant qu’un nombre significatif de demandeurs d’asile éprouvaient des difficultés d’accès à la plateforme téléphonique et ne disposaient plus de ce fait d’un justificatif de la démarche entreprise pour régulariser leur situation, ce qui les plaçait dans une situation d’insécurité juridique, particulièrement en cas d’interpellation par les services de police.

D’autre part, le droit d’asile étant un droit constitutionnel et l’article 6 de la directive 2013/32/UE transposé par l’article L.741-1 CESEDA prévoyant un délai d’enregistrement de trois jours, porté à 10 jours lorsqu’un nombre élevé d’étrangers demandent l’asile simultanément, le juge des référés a constaté qu’en l’état des chiffres fournis 10 % des appels présentaient un délai d’attente supérieur à 10 jours, se superposant au délai d’instruction, ce qui constituait une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale.

2- Le juge des référés, après avoir souligné l’amélioration apportée, a néanmoins ordonné à l’OFII de renforcer ses effectifs de deux agents à compter du 28 février 2019 et de l’adapter en fonction des volumes d’appels entrants non honorés et de prendre en charge dans un délai de 48 heures les demandes individuelles des demandeurs nominativement désignés par les associations requérantes, dans la mesure où elles ne l’auraient pas déjà été à cette date.

3-Cette décision du juge des référés est importante car elle démontre une fois de plus que le référé-liberté est devenu une arme puissante, efficace et rapide pour faire respecter les libertés fondamentales, notamment le droit d’asile.

En l’espèce, l’affaire n’est sans doute pas entièrement terminée car dans ses motifs le juge des référés souligne qu’il revient à l’OFII de mieux cerner « le chiffre noir » des appels qui ne peuvent pas aboutir à la plateforme téléphonique afin de déterminer le plus précisément possible le nombre d’emplois nécessaires pour recevoir les appels, ce dernier nombre ne pouvant au demeurant pas être déterminé en fonction de la capacité d’accueil en aval des Guda, le nombre de leurs agents devant augmenter selon ce même principe, indépendamment des contraintes budgétaires. Pour être parfaitement clair, le juge des référés énonce qu’il s’agit pour l’État, dans ce domaine régalien, d’une obligation de résultat et non pas d’une obligation de moyen.

Le renforcement des effectifs à hauteur de deux agents constitue donc une mesure provisoire dans l’attente de ce chiffrement plus exact.

Il faut également relever que l’ordonnance s’est bien gardée de déterminer si, en février 2019, l’OFII devait respecter le délai ordinaire de 3 jours prévu à l’article L.741-1 CESEDA ou si ce délai pouvait, par exception, être porté à 10 jours en raison du nombre élevé de demandes conformément au 5. de l’article 6 de la directive. Car les effectifs ne sont évidemment pas les mêmes selon que l’obligation de résultat porte sur un délai de 3 jours ou sur un délai exceptionnel pouvant être porté à 10 jours.

4-La préoccupation de l’accès à la procédure d’asile n’est pas propre à la France et il faut rapprocher l’ordonnance du juge des référés du TA de Paris d’une décision du 20 décembre 2018 par laquelle le Conseil d’État belge a suspendu, à la demande d’associations, les effets d’un quota de demandes d’asile plafonné à 50/60 par jour.

Selon un raisonnement similaire, il a jugé qu’il y avait urgence compte tenu des risques auxquels sont exposés les demandeurs d’asile et que l’instauration d’un quota constituait une barrière à l’exercice effectif d’un droit fondamental.

Le Conseil d’État s’est en particulier référé à l’article 7 de la directive relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale qui prévoit que toute personne majeure jouissant de la capacité juridique a le droit de présenter une demande de protection internationale en son nom ou au nom des personnes dont il a la charge, dont les enfants mineurs. Il a donc suspendu avec effet immédiat ce quota qui de manière déraisonnable rendait difficile l’accès effectif à la procédure d’asile.

5-Ces deux décisions sont importantes car elles montrent bien que, dans le contexte postérieur à la « crise de 2015 », qui est maintenant derrière nous, les États-membres de l’Union européenne continuent à adopter des mesures restrictives, qui portent aussi sur l’accès à la procédure d’asile. Étant incompatibles avec le droit européen, les associations ont raison de les faire censurer par les juges et ces derniers ont également raison d’utiliser leurs pouvoirs d’urgence pour en suspendre immédiatement l’application.