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"Arrêtons donc de stigmatiser les populations issues de l'immigration"

Promotion sociale des milieux populaires : les immigrés en exemple, par Bruno Vincent


Le débat sur l'identité nationale organisé par le gouvernement ces derniers mois a inexorablement dérivé vers des prises de position peu transparentes sur la place des étrangers et des personnes issues de l'immigration en France. Et pour cause : ce chiffon rouge est bien souvent brandi à des fins électoralistes. Or le brouhaha médiatico-politique est tout sauf profitable à l'analyse sereine d'un sujet aussi sensible.


Maintenant que l'agitation est retombée, revenons sur quelques vérités, trop largement occultées.

Plusieurs études sociologiques récentes, comme celle de Claudine Attias-Donfut et François-Charles Wolff ou celle de D. Place et B. Vincent, viennent bousculer la vision communément partagée d'une intégration manquée des populations immigrées en France. Cette vision biaisée repose sur une représentation uniformisante, et bien sûr fausse, de ce qu'est la population immigrée : une population qui serait pauvre, d'origine africaine, souvent musulmane et incapable de s'intégrer à la société française. Cette perception de la réalité fait fi de toute la dynamique dans laquelle s'inscrivent, pour la majorité d'entre elles, les populations immigrées.

Les personnes qui émigrent quittent bien souvent leur pays d'origine à la recherche de conditions de vie meilleures : rien d'étonnant, donc, à ce que ces personnes et leurs enfants fassent partie des franges les plus démunies de la population française. Rien d'étonnant non plus à ce que les personnes dont les deux parents sont nés à l'étranger soient alors deux fois plus fréquemment sans diplôme que celles dont les deux parents sont nés en France.

Loin d'être le signe d'une intégration défaillante, ce chiffre n'est que le reflet des difficultés sociales rencontrées plus globalement par les franges les plus défavorisées de la population. Mettre en parallèle les trajectoires de personnes qui proviennent de milieux socio-économiques similaires permet alors de prendre réellement la mesure de la dynamique d'intégration des populations immigrées : un enfant d'ouvrier immigré par rapport à un enfant d'ouvrier français, un enfant de cadre immigré par rapport à un enfant de cadre français.

Ce travail statistique conduit à démontrer qu'à caractéristiques socio-économiques identiques, les enfants dont les deux parents sont nés à l'étranger réussissent très significativement mieux à l'école que les enfants de parents nés en France.

Ce constat va clairement à l'encontre d'une opinion communément admise d'un échec de l'intégration des populations ayant des origines étrangères. Ces populations investissent fortement dans l'école pour leurs enfants. Elles partent certes souvent du bas de l'échelle sociale, mais allient à leur mobilité géographique initiale une volonté forte d'ascension sociale intergénérationnelle. Cet effort pour s'élever socialement est un signe incontestable de leur progressive intégration à la société française, ce qui est déjà en soi une réussite.

Dès lors, le fait que le parcours scolaire et l'insertion professionnelle des personnes issues de l'immigration restent difficiles tient moins à leur origine étrangère qu'à leur origine sociale : elles appartiennent majoritairement aux milieux populaires. La véritable question à se poser aujourd'hui n'est donc pas tant celle de l'intégration des immigrés que celle, beaucoup plus large, de notre incapacité actuelle à promouvoir l'ascension sociale des personnes issues de milieux populaires, et ce quelles que soient leurs origines géographiques.

Arrêtons donc de stigmatiser les populations issues de l'immigration en leur enjoignant de s'intégrer alors que c'est ce qu'elles s'évertuent à faire au quotidien pour la grande majorité d'entre elles. Ne nous trompons pas de débat.

Par Bruno VINCENT

 

Le Monde, le 15/04/2010