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Rhita et Fawz Ben Barka

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Mehdi Ben Barka, né en janvier 1920 à Rabat (Maroc), disparu le 29 octobre 1965 à Fontenay-le-Vicomte était un homme politique marocain, principal opposant socialiste au roi Hassan II et leader du mouvement tiers-mondiste et panafricaniste. Le 29 octobre 1965, devant la brasserie Lipp à Paris, Ben Barka fut kidnappé par des policiers français et son corps ne fut jamais retrouvé. Après 40 années d'une enquête judiciaire qui n'est toujours pas terminée, l'implication des pouvoirs politiques marocains et français dans cet enlèvement reste controversée. (source Wikipédia)

Rhita et Fawz BEN BARKA, la femme et la fille du leader politique, vivent en France. La famille Ben Barka a effectué son premier voyage au Maroc en novembre 1999, après 35 ans d'exil.

Texte extrait du recueil J'ai deux amours, portraits d'exil, de Brigitte Martinez, Le cherche midi éditeur, 1998. Voir tous les portraits d'exil

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« MIGAISS »
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De son enfance dans la vieille ville de Rabat, Rhita garde un souvenir sonore : les réveils métalliques au son du mehraz, ce pilon dont se servaient les femmes pour écraser les épices : cumin, safran, écorces de cannelle, graines de coriandre, ail. Aujourd’hui, elle ne sait pas si ce son court encore dans les ruelles marocaines. Elle ne sait plus ce qui est familier au Maroc. Elle a quitté son pays voilà 35 ans, et se promet, ses enfants aussi, de ne pas y retourner « tant que l’affaire ne sera pas réglée. Car depuis l’enlèvement nous ne savons toujours pas le fin mot de l’histoire ».

Fawz, la fille de Rhita et de Mehdi Ben Barka traduit les propos de sa mère et ajoute : « Nous savons qu’il a été tué, c’est évident, mais tant que l’affaire ne sera pas éclaircie, nous n’y retournerons pas. On espère, on espère… » Elle lève les yeux sur une photo, encadrée noir et blanc, grand format sur le mur. La famille pose, pour une fois réunie, un bonheur au complet, un moment rare. Les garçons avaient joué au ballon, la famille découvrait Le Caire et ses jardins.

C'étaient leurs premiers pas en Égypte, leur terre d’exil en 1964. « Là, je pensais que la vie allait enfin commencer. J’avais mon mari à mes côtés et mes enfants. Mais la vie en a voulu autrement ». Rhita pensait en finir avec l’angoisse et la peur qui ne l’ont jamais quittée depuis son mariage, en 1949, avec le leader de l’opposition marocaine.

Qu’est-ce qui vous a plu en lui ? Sa femme éclate de rire, avoue : « Tout, absolument tout, il m’a plu en entier ». Malicieusement elle demande : « Mais c’est un livre de cuisine ou une histoire d’amour ? ».
Oui, forcément, oui, c’est une histoire d’amour. Celle de sa fille encore émue par l’image de son père au petit-déjeuner : « Il mettait de l’huile d’olive dans un petit bol, ajoutait un peu de sel, puis trempait du pain grillé dedans ». « Il prenait aussi du thé vert » complète Rhita. « Il aimait beaucoup le thé, il avait sa théière. »

Oui, c’est une histoire d’amour scellée par un beau mariage où le miel, âassal, coule à profusion. Un miel aromatisé travaillé avec du sésame, du safran, de la cannelle, parsemé d’amandes. On y trempe un pain rond, blanc décoré, pétri avec de l’anis. Du miel pour accompagner les grandes étapes de la vie, mariage, naissance, circoncision et mort. Y avait-il du miel pour la naissance de Fawz ? Rhita ne sait plus « A ce moment-là, mon mari était en exil. Il y est resté 4 ans. Au sud du Maroc ». Un sud très au sud à deux jours de voyage de Rabat pour des visites souvent limitées à quelques heures. Escale à Meknès, direction Midlet ou Talsint. La résidence est surveillée. « Je ne pouvais pas lui apporter grand-chose, on était fouillés. Mais il ne manquait de rien là-bas parce qu'il était très respecté. On l’aimait beaucoup ». Là encore il s’agit bien d’une histoire d’amour, cette fois avec son peuple. Une année pourtant la pression se relâche : « En 1952 j’ai obtenu une autorisation de séjour de 3 mois ». « C’est à ce moment-là que j’ai été conçue », complète Fawz. Avec fierté.

« J’avais peur pour lui. Beaucoup. Toujours. Je ne pouvais pas lui demander d’arrêter, ça a toujours été sa vie, il a toujours vécu pour son pays ». Un attentat dont il réchappe, une condamnation à mort par contumace, l’homme est menacé mais devant poursuivre son action militante, il s’exile en Europe. En Allemagne, en Suisse. Sa cuisine est solitaire avec, pour le goût du pays, son plat favori, le tagine de poisson « avec beaucoup d’oignon. De l’ail, des tomates, du poivron et du cumin ». Il reste seul jusqu’en 1964 « l’année du grand départ ». La maison familiale, fouillée, pillée, puis scellée par la police rend la vie de Rhita et de ses quatre enfants des plus incertaines à Rabat. « On est parti par petits groupes, on avait peur qu’on nous interdise de quitter le Maroc. Il fallait trouver un moyen de sortir sans attirer l’attention ». De raisons médicales en projets de vacances, tous les prétextes servent et chaque billet d’avion est un aller-retour. Sans retour. Le voyage aboutit, via Paris, Francfort et Zurich, au Caire.

Dans la grande maison mise à la disposition de la famille par Nasser, trônent des canapés et non plus des divans. La table est immense, haute, bien différente des tables rondes et basses marocaines. « On a commencé à manger à l’européenne en Égypte ». Les coutumes changent mais l’angoisse demeure, malgré la protection rapprochée offerte à la famille. Elle doit encore déménager. « On avait des moments de bonheur, des instantanés, mais on ne savait jamais quel serait le lendemain ». La nouvelle maison n’accueillera Mehdi Ben Barka, toujours en voyage, que deux fois. « Après il y a eu l’enlèvement. On l’a su par les journaux, le lundi. L’enlèvement avait eu lieu le vendredi. » Le vendredi 29 octobre 1965, devant la brasserie Lipp à Saint-Germain-des-Prés.

Les invités à la table des Ben Barka sont nombreux et affluent de tous les continents. Le père insiste pour qu’on offre à ses hôtes des plats marocains. D’ailleurs avant chacun de ses voyages, il écrit : « Dites-moi ce dont vous avez besoin, je vais venir bientôt ». Et s’il ramène parfois du thé vert ou du safran dans ses bagages, il les accompagne souvent de cadeaux.

« Pendant plusieurs années on a vécu avec l’idée que mon père était quelque part, il devait être quelque part. Il ne pouvait pas disparaître comme ça! On a vécu avec cette idée. Avec le temps, il a bien fallu prendre une décision. Ce n’est que dernièrement que ma mère a obtenu le statut de veuve, on a pu établir un papier comme quoi... »

La cuisine du Caire, malgré quinze ans passés en Égypte, influence peu les repas, aujourd'hui parisiens. « On a gardé la manière de cuire le riz, on le fait revenir dans une poêle et on rajoute de l’eau. C’est un peu pilaf ». En pensant à cela, tout à coup, Fawz se souvient de son enfance au Maroc, de la cuisine de sa grand-mère, du pain trempé dans l’eau, essoré, émietté puis frit avec du beurre, saupoudré de sucre et de cannelle : migaiss. Migaiss, elle n’y pensait plus, jusqu’à ce jour. Elle en refera, c’est sûr. Comme avant. Rhita elle, refera peut-être du thé. « Ici le thé, pris sur le coup des onze heures, onze heures trente, j’en ai perdu l’habitude ». Elle marque une pause avant d’ajouter : « Mais on a perdu tellement de choses, tellement de choses… »

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