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L'Europe devant la question de l'asile et de l'immigration

 

A la veille de la présidence française de l’Union européenne, et de l’annonce par le gouvernement de ses priorités, France terre d’asile a fait le point, dans un colloque tenu à l’Assemblée nationale le 28 octobre, sur la question de l’asile en Europe.

 

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Le signes d’une crise du droit d’asile sont là. Aux frontières de l’Europe, où des murs se construisent pour bloquer migrants et demandeurs d’asile, et où du fait de l’échec du système de Dublin, ne fonctionnent entre les Etats membres ni responsabilité, ni solidarité pour l’accueil de ceux qui arrivent encore. A l’extérieur de l’Europe, avec les pays tiers de premier accueil ou de transit, s’est développée une coopération conditionnelle de l’UE et des Etats membres qui tend à décharger l’Europe à leurs dépens, tandis que les programmes de réinstallation mis en place pour soulager ces pays ont atteint en 2020 leur plus bas niveau en Europe (35 000 réfugiés). A l’intérieur des pays européens, en France même, on voit les errances qui résultent de l’absence de règles communes ou d’accords effectifs entre Etats membres, de politiques communes pour organiser l’exercice du droit d’asile, l’errance des demandeurs d’asile « dublinés », ou déboutés dans une autre Etat membre, qui n’accèdent à aucun guichet ou sont comme refoulés à la frontière britannique, et qui deviennent peu à peu une catégorie de migrants maltraités, comme on peut l’observer, pas seulement à Calais.

 

            A France terre d’asile, nous nous refusons à voir dans cette crise et ces maltraitances une fatalité. A travers notre expérience opérationnelle, depuis nos maraudes et le premier accueil, jusqu’à l’accompagnement des demandeurs d’asile et l’intégration des réfugiés, nous voyons ce qu’un dispositif d’accueil doit ou pourrait apporter. Nous voyons aussi ce que le débat public en France, polarisé autour des « abus » du droit d’asile et des « excès » de l’immigration, a de décalé et de nocif par rapport à la réalité que nous observons, mais aussi par rapport à l’état de l’opinion publique, bien moins fermée qu’il y paraît, comme l’ont si bien illustré l’élan de solidarité qui a accompagné la gestion de la récente crise afghane et l’ouverture de nombreuses villes qui se revendiquent  « accueillantes ». Débat décalé aussi par rapport à ce qu’on observe chez nos voisins allemands, italiens, voire espagnols ou hollandais.

 

            Nous ne nous résignons donc pas à une Europe impuissante devant la question de l’asile, et devant la question, liée, de l’immigration.

 

            Nos propositions pour l’asile sont sous le signe de la solidarité, pour une politique d’asile européenne réellement solidaire, sur trois axes :

 

- Privilégier les voies sûres et légales d’accès à l’Europe, les programmes de réinstallation et les voies complémentaires. Cette priorité, recommandée par les Nations unies et son Haut-Commissariat aux réfugiés depuis le Pacte mondial de 2019 sur les réfugiés, est aujourd’hui affichée par plusieurs Etats membres, car elle court-circuite les passeurs et peut permettre d’éviter les risques, pour un certain nombre de demandeurs d’asile, inhérents aux routes migratoires. C’est un domaine où la coordination européenne peut et doit progresser ; où la discussion d’un cadre commun, commencée en 2016, peut reprendre ; où les initiatives de partage solidaire, en particulier pour les réfugiés afghans qui vont se trouver aux frontières des pays voisins, ne doivent pas être abandonnées ; où les critères d’éligibilité pourraient s’élargir. C’est le premier terrain d’une politique solidaire.

- Aux frontières extérieures de l’Europe, mettre en place une solidarité effective d’accueil. Nous avons travaillé ce sujet avec des associations et des villes d’autres Etats membres depuis que la Commission européenne en a parlé dans une proposition de « Pacte » de septembre 2020. Contrairement à ce pacte, nous pensons à des mécanismes de solidarité effectifs, prévisibles (comme le HCR les recommandait dès 2018 pour répartir les migrants secourus en mer), et, pour être réalistes, reposant sur les engagements des Etats volontaires. Ces Etats volontaires seront ceux qui n’ont aucun intérêt au maintien du désordre créé par la règlement Dublin, pays de première entrée qui ne l’appliquent pas, ou pays d’accueil de fait comme l’Allemagne et la France. L’objectif d’un partage simplement plus équitable qu’aujourd’hui, et plus respectueux des liens et des aspirations légitimes des demandeurs d’asile, pourrait être à leur portée.

- Traiter les errances de ceux qui sont entrés sans avoir pu accéder aux procédures de l’asile. Une fois profondément réformé le règlement de Dublin, il restera à apporter des solutions aux migrants déjà présents sur le territoire et pour qui l’errance doit cesser, par des mesures de réouverture de l’accès à la procédure d’asile, ou d’ouverture là où elle est fermée (à la frontière britannique, par exemple, où la solidarité concerne les deux pays voisins), ou de régularisation du séjour.

 

            Nos propositions pour l’immigration partent de plusieurs constats : les flux d’arrivées en Europe sont mixtes, ce qui pèse sur le système de l’asile faute d’autres voies d’entrée légales ; acteur engagé dans l’accueil et l’insertion des demandeurs d’asile et des réfugiés, nous déplorons, aux portes du Dispositif National d’Accueil, la maltraitance des migrants qui en résulte ; enfin, la fermeture des voies d’une immigration de travail, particulièrement en France, est aujourd’hui questionnée, par exemple par le Parlement européen dans son rapport sur « la mise en œuvre de nouvelles voies pour une migration économique légale », ou par la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale qui y revient à plusieurs reprises dans ses propositions. Nos propositions pour l’asile appellent une réflexion corrélative sur une politique d’immigration responsable mais plus ouverte.

 

            Nous pensons que la Présidence française de l’UE doit affronter cette question des politiques d’asile et d’immigration sans s’enfermer dans l’état actuel des compétences de l’Union, ni dans une vision statique, tributaire de l’unanimité, de la négociation européenne. Nous pensons qu’une coalition d’Etats membres volontaires peut faire bouger les lignes dans le sens  de dispositifs plus solidaires. Nous attendons de la France qu’elle soit moteur en ce sens.

 

Thierry Le Roy et Delphine Rouilleault, Président et Directrice générale de France terre d’asile

 

Vous pouvez également consulter la version légèrement éditée publiée dans La Croix le 25 novembre 2021.