
© Carl Campbell
Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !
Depuis 2015, la lutte contre la migration irrégulière a vu son budget tripler dans les lois de finances annuelles. Parallèlement, les sommes allouées à l’accueil et l’intégration des personnes exilées, qui diminuent pour la deuxième année consécutive, ne permettent pas de répondre aux besoins d'accompagnement.
En 2024, 350 000 personnes étaient sans domicile et 4,2 millions étaient mal-logées en France, selon la Fondation pour le logement. Parmi elles se trouvent de nombreuses personnes exilées, victimes des carrences du premier accueil des demandeurs d’asile, de l’insertion professionnelle, de l’accès au logement social, et d’une politique d’accès au séjour de plus en plus restrictive. Nafissa, demandeuse d’asile, témoigne des 3 mois passés à la rue avec sa famille et de l’impact sur ses enfants : « La petite fait parfois des cauchemars. Elle a peur de se retrouver à la rue une nouvelle fois. Ça l’a marquée. » En 2025, la Baromètre de la FAS et de l’UNICEF montrait que 2 159 enfants dormaient à la rue à la veille de la rentrée scolaire.
L’hébergement des demandeurs d’asile est une mission qui incombe à l’État : elle répond au principe constitutionnel de l’asile ainsi qu’aux obligations européennes de la France concernant les conditions matérielles d’accueil (CMA) des personnes demandeuses d’asile. Pourtant, les CMACMA sont parfois refusées ou retirées sans examen approfondi des situations individuelles. Les demandeurs d'asile ne sont pas tous hébergés : on estime qu’ils sont entre 40 000 et 70 000 à ne pas être hébergés dans le dispositif national d’accueil qui leur est dédié. Selon les chiffres de la Cimade, seules 43% des personnes ayant une demande d’asile en cours seraient hébergées dans le dispositif national d’accueil. Déjà vulnérables, ces derniers sont alors confrontés à l’errance résidentielle, ou se retrouvent à la rue.
De nouvelles suppressions de places
Le Projet de loi de finances 2026 (PLF), présenté en octobre par le premier ministre Sébastien Lecornu, s’inscrit dans la continuité des suppressions de places du dispositif national d’accueil (DNA) déjà entamées par les gouvernements précédents. Le projet de loi prévoit une nouvelle réduction des capacités d’hébergement, avec la suppression de 1 403 places de centres d’accueil pour demandeurs d’asile et d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile, venant s’ajouter aux nombreuses annulations et suppressions engagées en 2025 - et ce, dans un contexte de hausse annuelle du nombre de demandes d’asile.
Le dispositif national d’accueil a connu une forte augmentation de ses capacités entre 2012 et 2020 pour absorber la « crise de l’accueil », passant de 45 290 places à 107 214. On assiste toutefois depuis 2025 à une réduction du parc d’hébergement : la loi de finances pour 2025 a supprimé près de 6 500 places d’hébergement pour demandeurs d’asile et annulé l’ouverture de 2 895 autres. Au total, ces suppressions reviennent à une réduction de 9% du nombre de places, auxquelles de nombreuses associations, dont FTDA, s’étaient opposées. Les réductions prévues pour l’année 2026 porteraient à 10 700 le nombre de places supprimées en 2 ans, soit une réduction de 10%. Le nombre de places, initialement programmé à 132 000 fin 2024, ne serait donc que de 111 855 en 2026. Parallèlement, entre 155 000 et 167 000 demandes d’asile ont été déposées chaque année depuis 2022.
Pourtant, selon les estimations de France terre d’asile, investir dans 8 000 places supplémentaires au sein du DNA permettrait d’économiser près de 14 millions d’euros par an, en raison de la différence de coût journalier avec une place en hébergement d’urgence généraliste, plus coûteuse et moins adaptée aux besoins des personnes exilées. De nombreuses personnes exilées n’ont d’autre choix que d’avoir recours aux structures d’hébergement d’urgence de droit commun du 115 (SIAO), déjà largement saturé. Des formes de « préférence nationale » y ont par ailleurs été recensées à plusieurs reprises, montrant que certains départements (tel que le Pas-de-Calais) refusent l’hébergement d’urgence aux personnes exilées, ce qui est contraire au principe d’inconditionnalité de l’accueil.
L’État français avait pourtant prouvé sa capacité à organiser les conditions d’un accueil digne des personnes exilées, en y investissant les moyens adéquats. En 2022, l’État a dépensé 634 millions d’euros pour l’accueil des personnes fuyant l’Ukraine. « Le coût par place et par jour s’est élevé à 38 euros en moyenne nationale, là où la mise à l’abri de droit commun en nuitée hôtelière est en moyenne inférieure à 20 euros et à 18 euros dans le dispositif national d’accueil ».
Une précarité résidentielle et financière préoccupante
Les baisses d’investissement touchent également l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), qui s’élève à 6,8 euros par jour et par personne. Faute de places d’hébergement, 20 000 personnes perçoivent un montant additionnel de 7,4€/jour destiné à compenser l’absence d’hébergement dans le dispositif national d’accueil, portant le montant mensuel pour une personne seule non hébergée à 431,92 euros par mois – bien en dessous du seuil de pauvreté, à 1 288 euros. En conséquence, nombre de demandeurs et demandeuses d’asile sont condamnés à l’errance résidentielle et à la vie à la rue.
L’insécurité alimentaire est un par conséquent un problème récurrent : 36% des demandeurs d’asile en hébergement d’urgence souffrent de faim modérée ou sévère. L’ADA est la seule aide sociale de subsistance que les demandeurs et demandeuses d’asile peuvent toucher – elle est pourtant la seule prestation sociale à n’avoir pas été revalorisée depuis 2018, malgré une inflation cumulée de plus de 18%. Malgré tout, le PLF 2026 prévoit une diminution de 10% du budget de l’allocation demandeurs d’asile.
Une interdiction de travailler qui freine la sortie de la pauvreté
Les personnes exilées sont aujourd’hui souvent forcées à l’inactivité : à leur arrivée en France, les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler pendant leurs 6 premiers mois de présence sur le territoire. Un accès plus rapide au marché du travail permettrait pourtant aux personnes de vivre dignement, ce que l’allocation pour demandeurs d’asile ne permet pas, mais aussi de faciliter leur insertion, de faire respecter leurs droits, et de permettre leur contribution à la vie économique et sociale du pays. Cet investissement représenterait par ailleurs une économie pour le budget de l’État : selon France terre d’asile, les économies réalisées sur l’hébergement, les allocations, et les recettes provenant des cotisations sociales permettraient un gain de 139 millions d’euros par an.
L’accueil et l’intégration relèvent en premier lieu de la dignité des personnes. Mais face au vieillissement démographique en France, la migration constitue aussi une nécessité économique. Selon le think-tank Terra Nova, permettre aux travailleurs et travailleuses étrangers d’exercer un métier est indispensable pour compenser le vieillissement de la population et pourvoir aux emplois disponibles, notamment dans les secteurs en tension tels que l’hôtellerie ou la restauration. Le travail des demandeurs d’asile, mais aussi la régularisation des travailleurs sans-papiers est également soutenue par de nombreuses associations telles que la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), qui la décrit comme une « réponse concrète et humaniste à l’urgence sociale dans laquelle se trouvent ces personnes subissant de plein fouet la crise sociale et la précarité ».
L’apprentissage du français pour toutes les personnes exilées et le plus tôt possible - dès la demande d’asile pour les demandeurs d’asile - est particulièrement difficile aujourd’hui, bien qu’indispensable à l’insertion socio-économique des personnes concernées. Pourtant, les services d’enseignement du Français langue étrangère se dégradent très fortement. Depuis août 2025, une grande partie des enseignements de français langue étrangère auxquels peuvent accéder toutes les personnes signataires du Contrat d’intégration républicaine ont lieu uniquement sur une plateforme numérique, et non plus en présentiel. Le collectif inter-associatif Le Français pour tous dénonce un « échec annoncé de l’OFII pour accompagner les personnes dans l’appropriation et la maîtrise du français ». Parallèlement, la loi immigration de 2024 a prévu un relèvement du niveau de français nécessaire pour obtenir d’un titre de séjour.

© France terre d'asile (Job dating à Rouen)
Le coût de la répression
Si les coupes budgétaires touchent les actions liées à l’accueil et l’intégration, le PLF 2026 pourrait marquer une forte augmentation de l’investissement dans la répression du séjour irrégulier. En janvier 2024, la Cour des comptes a publié un rapport estimant à 1,8 milliards d’euros les dépenses relatives à la lutte contre l'immigration irrégulière pour l’année 2023. On observe depuis 2021 une augmentation des crédits qui y sont alloués, et le budget dédié a même triplé entre 2015 et 2026, passant de 93,9 à 327 millions d’euros.
Les places en centre de rétention administrative (CRA) représentent la majeure partie de ces dépenses : le coût annuel direct est estimé à 265 millions d’euros pour l’année 2024, soit 602 euros par jour et par personne. Pourtant, le gouvernement organise une augmentation continue des capacités de ces centres avec un objectif de 3 000 places en 2027. Le PLF 2026 dévoile un investissement de156 millions d’euros dans les CRA, soit 113 millions de plus qu’en 2025.
Les conditions de la rétention, ainsi que son usage abusif - notamment pour des motifs d’ordre public - sont régulièrement dénoncés par les associations, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, la Défenseure des droits, mais aussi France terre d’asile et les autres associations intervenant en CRA à travers un rapport annuel sur la rétention.

© Squat, Le Monde
Pour aller plus loin, retrouvez notre plan d'action chiffré : Budget 2026 : Une politique migratoire plus humaine et efficace rapporterait 3.3 milliards d'euros par an




